Lettre de Pascal à Fermat le 10 août 1660 :

 

… Car pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l'esprit ; mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n'est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l'appelle le plus beau métier du monde ; mais enfin ce n'est qu'un métier ; et j'ai dit souvent qu'elle est bonne pour faire l'essai, mais non l'emploi de notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la géométrie, et je m'assure fort que vous êtes de mon humeur.

 

Portrait de Pascal (école française du XVIIe siècle)

 

Société des Amis de Port-Royal

 

 

LETTRE A FERMAT

 

                  MONSIEUR,

 

          Vous êtes le plus galant homme du monde, et je suis assurément un de ceux qui sais le mieux recon­naître ces qualités-là et les admirer infiniment, surtout quand elles sont jointes aux talents qui se trouvent singu­lièrement en vous : tout cela m'oblige à vous témoigner de ma main ma reconnaissance pour l'offre que vous me faites, quelque peine que j'aie encore d'écrire et de lire moi-même : mais l'honneur que vous me faites m'est si cher, que je ne puis trop me hâter d'y répondre. Je vous dirai donc, Monsieur, que, si j'étais en santé, je serais volé à Toulouse, et que je n'aurais pas souffert qu'un homme comme vous eût fait un pas pour un homme comme moi. Je vous dirai aussi que, quoique vous soyez celui de toute l'Europe que je tiens pour le plus grand géomètre, ce ne serait pas cette qualité-là qui m'aurait attiré ; mais que je me figure tant d'esprit et d'honnê­teté en votre conversation, que c'est pour cela que je vous rechercherais. Car pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l'esprit; mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n'est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l'appelle le plus beau métier du monde ; mais enfin ce n'est qu'un métier; et j'ai dit souvent qu'elle est bonne pour faire l'essai, mais non pas l'emploi de notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la géométrie, et je m'assure fort que vous êtes fort de mon humeur. Mais il y a maintenant ceci de plus en moi, que je suis dans des études si éloignées de cet esprit-Ià, qu'à peine me souviens-je qu'il y en ait. Je m'y étais mis, il y a un an ou deux, par une raison tout à fait singulière, à laquelle ayant satisfait, je suis au hasard de ne jamais plus y penser, outre que ma santé n'est pas encore assez forte ; car je suis si faible que je ne puis marcher sans bâton, ni me tenir à cheval. Je ne puis même faire que trois ou quatre lieues au plus en carrosse ; c'est ainsi que je suis venu de Paris ici en vingt-deux jours. Les médecins m'ordonnent les eaux de Bourbon pour le mois de sep­tembre et je suis engagé autant que je puis l'être, depuis deux mois, d'aller de là en Poitou par eau jusqu'à Saumur, pour demeurer jusqu'à Noël avec M. le duc de Roannez, gouverneur de Poitou, qui a pour moi des sentiments que je ne vaux pas. Mais comme je passerai par Orléans en allant à Saumur par la rivière, si ma santé ne me permet pas de passer outre, j'irai de là à Paris. Voilà, Monsieur, tout l'état de ma vie présente, dont je suis obligé de vous rendre compte, pour vous assurer de l'impossibilité où je suis de recevoir l'hon­neur que vous daignez m'offrir, et que je souhaite de tout mon cœur de pouvoir un jour reconnaître, ou en vous, ou en messieurs vos enfants, auxquels je suis tout dévoué, ayant une vénération particulière pour ceux qui portent le nom du premier homme du monde. Je suis, etc.

 

PASCAL.

     De Bienassis, le 10 août 1660.

 

Á LA MARQUISE DE SABLÉ

 

[Décembre 1660.]

 

 

        Encore que je sois bien embarrassé, je ne puis différer davantage à vous rendre mille grâces de m'avoir procuré la connaissance de M. Menjot, car c'est à vous sans doute, Madame, que je la dois. Et comme je l'estimais ­déjà beaucoup par les choses que ma sœur m'en avait dites, je ne puis vous dire avec combien de joie j’ai reçu la grâce qu'il m'a voulu faire. Il ne faut que son épître pour voir combien il a d'esprit et de jugement et quoique je ne sois pas capable d'entendre le fond des matières qu'il traite dans son livre, je vous dirai néanmoins, Madame, que j'y ai beaucoup appris la manière dont il accorde en peu de mots l'immatérialité de l'âme avec le pouvoir qu'a la matière d'altérer ses ­fonctions et de causer le délire. J'ai bien de l’impatience d'avoir l'honneur de vous en entretenir.

 

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