Article extrait du dossier de La Croix du samedi 21 novembre et du dimanche 22 novembre 2009

 

Une longue histoire venue de l’esprit des Lumières


Les sociétés savantes ont surtout pris leur essor en France au XVIIIe siècle, avant de disparaître à la Révolution, puis renaître. Elles ont contribué aux échanges intellectuels en aidant parfois des personnalités méconnues

     « J’ai parcouru l’ensemble du royaume, parfois au détriment de ma famille », se souvient l’historien Daniel Roche, encore amusé de sa passion pour les académies de province au siècle des Lumières (1). Car c’est le plus souvent dans leurs archives, dispersées à travers le pays, qu’il a puisé sa science, incontournable si l’on veut connaître leur histoire et leur origine. « Ces sociétés sont nées à la fin du XVIIe siècle par une reconnaissance générale du gouvernement royal et du mouvement intellectuel parisien », résume le spécialiste.
Dès le commencement, tandis que les premières académies avaient germé sur le terreau d’une sociabilité mêlant des affinités diverses qui faisaient se rencontrer scientifiques, membres du corps médical ou du clergé, mais aussi parlementaires et autres groupes socioprofessionnels, elles devront être agréées par autorisation royale.
     Un lien ténu va s’établir entre Paris et la province : l’élite parisienne, imprégnée de l’esprit des Lumières, n’est pas sans influence sur l’élite provinciale. « On voit se former une association entre la province et Paris avec des échanges parfois très étroits », note Daniel Roche. En outre, la plupart des académiciens parisiens étant issus des divers coins du pays, ils voyaient comment ceux de province pouvaient contribuer au mouvement intellectuel national.

     Mais les académies de province se distinguent aussi des parisiennes par leurs centres d’intérêt locaux. « Les académiciens étaient conscients qu’ils représentaient le dynamisme du développement local », atteste l’historien. À Caen, Dijon, Bordeaux, on trouve les traces de débats sur l’aménagement des lieux, comme sur l’évolution du commerce sur la Garonne, par exemple. À Châlons-sur-Marne, l’académie ose même interroger les élites nationales sur le paupérisme dû au changement des structures économiques du royaume.
     Puis vient la Révolution, à l’origine de la suppression pure et simple des académies. « N’oublions pas non plus qu’elle balaya aussi les universités », rappelle l’historien Jean-Pierre Chaline (2). Déjà sous le Directoire (1795-1799) renaissent des sociétés savantes comme celles d’agriculture. Napoléon redonne ensuite leur plein droit aux académies : quinze sont rétablies sur les trente-trois qui existaient avant le décret de la Convention les interdisant, parmi lesquelles Rouen, dont Jean-Pierre Chaline est aujourd’hui membre. Six autres reverront le jour sous la Restauration (1814-1830).

     Dans ce courant de renouveau, quelques villes qui n’en possédaient pas se dotent d’académies, comme Aix-en-Provence et Versailles. Parmi les recréations, certaines en profiteront pour revêtir leur blason d’un nouveau lustre en se baptisant « Académie delphinale » à Grenoble ou « Académie de Stanislas » à Nancy. Leur caractéristique, désormais : « Elles demeurent élitistes mais sont pluridisciplinaires », indique l’historien. Leur rôle dans la cité, outre leur rayonnement culturel, se focalise sur la distribution de « prix de vertu » notamment, offerts à des inventeurs, artistes, penseurs. Ainsi, grâce à l’Académie de Besançon, Proudhon a bénéficié d’une bourse. Appartenir à une académie constitue en outre un honneur.
     Au XXe siècle et jusque dans les années 1970, les académies de province connaissent une période de déclin. Daniel Roche, qui a enquêté sur elles à cette époque évoque ces académiciens parfois « coincés comme dans une bulle du temps. » Désormais sorties du sommeil, la plupart, qui tiennent cependant à leurs traditions, ont retrouvé pignon sur rue.

 

                         Louis de Courcy

(1) Le Siècle des Lumières en province, (Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales) 1978. Réimpression en 1989.
(2) Les Sociétés savantes, Éd. Aubier Montaigne 1999.

 

 

 

Un peu d'histoire

 

Le concept d'académie remonte au Ve siècle avant J.-C., quand Platon enseignait à ses disciples dans le jardin de l'Athénien Akadémos.

Le grand essor académique commence à Florence sous la dynastie des Médicis.

Le mouvement, franchissant les Alpes se répand aux XVIIe et XVIIIe siècles en France et dans toute l'Europe.

 En 1795, les cinq grandes Académies (l’Académie française, des inscriptions et belles-lettres, des sciences, des beaux-arts, des sciences morales et politiques) sont regroupées au sein de l'Institut de France.

En 1995 est fondée la Conférence nationale des académies des sciences, lettres et arts, sous l'égide de l'Institut de France, à l'instar des cinq grandes académies.

 

Nombre d'académies

 

On compte aujourd'hui en France une cinquantaine de sociétés à caractère académique.

31 académies de province font partie de la Conférence nationale des académies des sciences, lettres et arts.

 

 

Photo :

 

L'hôtel de Lunas abrite l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, née il y a trois siècles sous le nom de Société Royale des Sciences.